
Des amours masqués
Des baisés volés. On dit que la vérité sort de la bouche des enfants…Avoir 11 ans c’est encore être un
L’histoire coloniale européenne et ses conséquences semblent volontairement omises de nos conceptions actuelles de ce que l’on nomme « l’accueil ». Le titre de l’article de Baudouï R. et Kabouche M. illustre parfaitement l’image que je me fais de ces lieux d’accueil, regroupant ces corps et ces esprits errants dans ce monde si disloqué, que les auteurs nomment « les paysages inhumains ».
Plus je m’intéresse à notre société contemporaine, plus j’ai le sentiment qu’elle s’égare. Sans vraiment savoir où aller, elle est envahie par une inquiétude chronique déroutante. C’est dans ce tumulte moderne que l’humain cherche ses repères. Quelle aubaine pour les prophètes de la peur mondialisée, qui font croire que le danger viendrait forcément d’ailleurs. Alimenté par les médias, les politiques publiques sécuritaires et le néolibéralisme, l’imaginaire collectif s’interroge : où sont donc passées les frontières ?
Cette conception actuelle de l’accueil est étroitement liée aux concepts de nationalité, de frontière ou de nationalisme, en particulier en rapport avec l’histoire commune qui lie le continent africain et le continent européen. Les séquelles de l’époque coloniale jouent un rôle dans les flux migratoires modernes et dans les prévisions démographiques de demain. Même si certains discutent encore de l’intensité de ce lien de causalité, tout le monde s’accorde à dire qu’il existe. Cela m’amène à m’intéresser de plus près aux concepts cités précédemment. Mon argumentation cherchera alors à démontrer, au travers des lectures du cours et de mes expériences personnelles, que ce que l’on nomme « l’accueil » est une forme de persistance du colonialisme occidental sur les pays dits « du tiers-monde ».
Les centres de rétention administrative sont l’apanage d’une politique d’accueil sélective. L’état des lieux de la CIMADE y consacre un chapitre intitulé « Trier pour exclure ». Cette sélection permet de s’assurer de l’utilité sociale et économique de l’étranger dans la société capitaliste occidentale. La doctrine voudrait qu’ils ne prennent pas les emplois convoités par des citoyens européens. Ils sont donc contraints à des emplois précaires, sans qualification, car cela n’intéresse pas les Européens, souvent plus « éduqués ».
Cela concerne principalement les demandeurs d’asile entrés illégalement sur le territoire et suivis par des services sociaux. Lorsqu’ils sont diplômés, ils sont présélectionnés avant leur arrivée pour travailler dans des secteurs en manque de main-d’œuvre qualifiée. J’ai pu observer cette sélection dans le cadre de mon rôle de président de la Foreigners Association de Chambéry. Chaque année, des milliers d’étudiants africains reçoivent une acceptation de Campus France pour venir étudier en France. Généralement admis dans plusieurs universités, ils doivent alors trouver un logement dans un rayon de 100 km du campus pour obtenir leur visa.
Certains prennent contact avec l’association pour obtenir une attestation d’hébergement, que nous ne pouvons pas fournir. Ce document, indispensable à l’obtention d’un visa étudiant, est un véritable casse-tête pour nombre d’étudiants étrangers. Ils sont souvent stigmatisés, sans justificatifs de revenus, et en concurrence avec des centaines de milliers d’étudiants en recherche de logement chaque année. Connaissant la tension locative des grandes villes universitaires et la réticence des propriétaires à louer à un étudiant étranger, on comprend rapidement que leur mission est presque impossible.
Le CROUS offre un accès facilité au logement en résidence universitaire, après étude des dossiers. Cette sélection permet de limiter le nombre d’arrivées et de garder un certain contrôle sur leur séjour (notamment via les aides qu’ils reçoivent). Ceux qui ne parviennent pas à obtenir un logement via le CROUS font appel à des proches ou paient des inconnus pour obtenir une attestation. Ces étudiants, souvent éloignés des dispositifs d’accompagnement, deviennent presque invisibles pour les institutions. Leur parcours semé d’embûches crée une méfiance envers les services de l’État français, qu’ils soupçonnent de les surveiller pour mieux les exclure.
Même s’il serait possible d’apporter un accueil plus digne et respectueux des droits humains, ce n’est pas la stratégie adoptée par nos États. Après cette phase de sélection, il s’agit de s’assurer que ceux dont l’utilité n’a pas été reconnue dissuaderont leur entourage de venir en Europe une fois rentrés chez eux. Convaincre que la vie en Europe n’est pas plus sûre qu’ailleurs revient à ignorer les réalités politiques et sociales des pays d’origine.
Cette stratégie vise à couper l’herbe sous le pied des candidats au départ. L’appareil législatif, judiciaire et médiatique contribue à cela, en diffusant une rhétorique sécuritaire qui justifie des pratiques dissuasives, souvent violentes. Les médias relayent majoritairement des informations négatives sur les personnes migrantes, alimentant les discriminations et la peur.
Les violences policières s’ajoutent à ce tableau : expulsions de camps, contrôles au faciès, détention arbitraire. L’agence FRONTEX, dans l’une de ses vidéos promotionnelles, se vante de « rendre l’Europe plus sûre ». Ce discours sécuritaire, prétendant protéger les citoyens, participe à la stigmatisation des étrangers — héritage évident du colonialisme.
Un peuple qui a peur cherche à se réfugier. Quand certains fuient pour survivre, d’autres s’enferment dans leurs certitudes, leurs craintes, leur amertume. Cet émerveillement quotidien que nous offre l’inconnu semble si éloigné d’une société effrayée par l’étranger. Et pourtant, c’est la diversité d’opinions, de cultures et de traditions qui insuffle vie à nos corps et à nos esprits.
Je refuse cette doctrine sécuritaire nationaliste. Il n’y a rien d’exaltant dans des sentiers balisés, des parcours anticipés, des chemins tout tracés. La sécurité qu’on nous vend à longueur de journée n’a rien d’une liberté. Qu’est-ce donc que la sécurité ? Une illusion, une sensation qui nous persuade que tout est maîtrisé. Mais il faut parfois se perdre pour se retrouver. Plus je cherche un sens à l’infinie nuance de nos vies, plus je me sens déboussolé.
Violence et compassion, amour et haine, joie et peine : ces contraires coexistent, s’entremêlent. À l’aune de la mondialisation, la violence devient globale, et nous cherchons tous un équilibre subtil pour rendre la vie supportable. Mais dans cette quête de sécurité, nous nous sommes perdus, et nous poursuivons un rêve d’ailleurs qui, ici même, s’alimente de nos peurs.
Cet amas d’humains apeurés devient une masse asservie. Modelées par de lointaines rumeurs, nos peurs nous paralysent, et le silence de l’oubli s’installe. Dans cette illusion où l’inacceptable se banalise, c’est notre humanité même qui s’efface. Témoins naïfs de réalités alarmantes, nous restons immobiles, impassibles, et finalement invisibles.
Dans un monde régi par le libre-échange, où seule compte la valeur marchande, l’humain devient marchandise. Ce trafic d’êtres humains, dissimulé derrière les conflits et les intérêts géopolitiques, rappelle cette époque pas si lointaine où l’on justifiait la domination d’une culture sur une autre en qualifiant l’Autre de « primitif ».
Aujourd’hui, c’est la menace terroriste qui permet de déshumaniser l’étranger en le représentant comme un danger. Si les époques diffèrent, les méthodes, elles, persistent. Convaincus de pouvoir éviter l’inévitable à coup de politiques sécuritaires, nos États s’égarent encore dans les travers d’un monde déshumanisé.
Alors que le vieux continent s’étouffe dans son orgueil, il n’est pas étonnant que cet amas d’humains indignés devienne, un jour, une masse incontrôlable.
Des baisés volés. On dit que la vérité sort de la bouche des enfants…Avoir 11 ans c’est encore être un