
Des amours masqués
Des baisés volés. On dit que la vérité sort de la bouche des enfants…Avoir 11 ans c’est encore être un
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Elle était magnifique cette histoire que tu m’as raconté l’autre soir.
Et la nuit quand il se fait tard, j’y repense.
Allongé au milieu de ce ciel immense, où les étoiles filantes dansent.
J’admire l’infinie grandeur de notre existence.
Moi qui vois ce monde où tout perd son sens.
Je lève les yeux vers tous ces astres silencieux, libre comme un voyageur.
Pour imaginer qu’ailleurs, il existe un monde meilleur.
Je m’appelle Juxhin et je vis dans une région du monde où la nature rappel chaque jour à l’homme qu’il n’y est pas à sa place. Je ne sais pas à quelle période de l’histoire mes ancêtres se sont installés dans ce trou perdu du globe, et quelles en étaient les raisons. Mais je me demande, avec encore plus de curiosité, pourquoi presque un millénaire plus tard nous n’avons pas quitté ce désert gelé.
Alors je me suis fait ma petite idée sur ces deux questions primordiales à mon bien-être. Il y a 800 ans, mes ancêtres se sont perdus. Et ils se sont tellement perdus qu’on est vraiment trop loin de tout aujourd’hui. Alors on est toujours là, malgré le froid, le froid et le froid. Car au fond c’est le seul problème de cet endroit. Mais ça change tout, croyez-moi ! L’eau est plus dure que le bois, les légumes ne poussent pas et pour se réchauffer tout le monde boit.
Bienvenue en Alaska !
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Je suis l’un des plus jeunes Mushers du continent nord-américain. Comment je le sais ? Je n’ai que 17 ans, donc j’imagine que personne n’est encore assez insouciant pour ce genre d’aventure ; alors que nous ne sommes pas encore assez vieux pour conduire une voiture. Et quand mes amis du lycée imaginent tous leur vie plus au sud, moi je me dis : « et pourquoi pas le nord ? ».
C’est mon caractère qui me fait toujours penser le contraire du plus grand nombre. Et comme aujourd’hui, j’ai l’impression que les gens ont beaucoup de mal à penser différemment. J’apporte un peu de diversité, comme dirait l’autre. C’est pas simple tous les jours, croyez-en ma vieille expérience ! Mais grâce à ça, je me sens plus vivant. Les gens me regardent avec étonnement, et je leur sourient bêtement !
Je me suis aussi fait ma petite idée sur les raisons qui m’attirent vers le nord.
Premièrement, comme pour eux on est déjà beaucoup trop au nord ! Moi je veux aller encore plus haut.
Deuxièmement, j’imagine que si dans ma petite ville de 2000 habitants les gens vivent déjà tous docilement, une vie sans rebondissement, en rêvant du sud uniquement… la même ville avec 10 millions d’habitants ça doit être effrayant !
Troisièmement, les histoires que l’on m’a racontées, de ceux qui y sont déjà allé, sont des vraies histoires d’aventuriers. Des aventuriers qui sont rentrés pour nous les faire partagées. Des récits profonds et poignants, palpitants et enivrants, avec une fin dont jamais personne ne s’attend.
Quant aux histoires de ceux qui sont partis au sud, elles sont presque toutes identiques, elles n’ont vraiment rien de magique et sont tristement nostalgiques.
Alors même si je suis encore trop jeune à leurs yeux, si le nord c’est trop dangereux, moi je sais que je n’ai qu’une vie, pas deux ! Et je vais partir, vers cet inconnu qui m’attire.
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Ma famille est un peu spéciale et c’est pourquoi elle mérite une présentation. Je considère mes chiens comme des êtres humains. C’est pas le cas de tout le monde, mais chacun a le droit d’aimer qui il veut, comme il veut ! Je ne me permettrai jamais de juger l’amour qu’éprouvent les gens pour ceux qui les entourent, tant qu’il y a du respect entre les protagonistes.
Je sais que c’est grâce à eux que mes rêves les plus fous deviennent réels. Lorsqu’ils courent devant mon traîneau, j’ai comme l’impression de quitter ce monde. Je regarde l’horizon dans cette nuit polaire et chaque étoile me paraît être notre prochaine destination. Alors je les aime comme vous pouvez aimer vos frères et sœurs. Parfois on se tourne le dos, mais on sait très bien à quel point on a besoin les uns des autres.
Je suis fils unique et j’ai toujours eu du mal à avoir des amis. J’étais trop différent, c’est ce qu’ils m’avaient tous dit. Ce que je pensais, c’est qu’ils étaient vraiment tous les mêmes et que malheureusement ils ne pouvaient pas le comprendre. Etre seul, c’est pas une chose très agréable. Car on se retrouve face à soi-même, face à ses propres choix. Alors que lorsqu’on est en groupe, c’est tellement plus simple de suivre le choix des autres. On est tous responsables et on subit les conséquences ensemble. C’est la faute aux autres, je les entends souvent dirent ça. Mais dans mon cas ça ne marche pas. Assumer ses propres choix, ses erreurs et ses défauts, voilà ce à quoi nous confronte la solitude. Et grâce à elle on grandit, on s’assagit comme ce fut le cas de Gandhi.
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J’ai appris à diriger un attelage dès l’âge de six ans. C’était aux côtés de mon grand-père. Je n’avais pas eu le choix d’aller vivre chez mes grands-parents car mon père était parti dans le sud pour gagner plus d’argent. J’ai cherché à comprendre pourquoi il ne m’avait pas emmené avec lui, on m’avait dit : « ne t’inquiète pas mon petit, c’est la vie ». Comme je faisais déjà le contraire de tout ce qu’on me dit, je m’étais inquiété et j’avais fait ma petite enquête. Il avait rencontré une européenne et il avait tout quitté pour elle. Ma mère s’était retrouvée seule avec ma garde et elle avait dû déménager chez ses parents. Ils vivaient dans une maison au milieu des grands espaces et je crois que nous étions heureux. C’est tout ce qui compte, non ?
Mon grand-père est un homme d’une grande gentillesse, il a besoin de donner de l’amour autour de lui. Il aime surtout la nature, bien plus que l’humanité ça s’est sûr ! Il répète souvent : « si Dieu a réellement créé ce monde, il n’aurait sûrement pas créé l’Homme. »
C’est pourquoi il vit à l’écart des autres habitants du village. Ses occupations rendent ses journées bien chargées. Il peint beaucoup les paysages enneigés, et il à ce don pour donner au blanc des nuances infinies. Chaque paysage hivernale qu’il retranscrit sur ses toiles, prend une teinture qui le rend unique et spécial. J’admire la façon dont il regarde la nature, pour lui, c’est comme si l’extraordinaire se cachait dans la plus futile simplicité.
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J’ai passé mon enfance à parcourir la forêt avec mes chiens. On allait chercher du bois, pécher sur le lac, chasser dans les clairières. Mon grand-père n’avait besoin de personne ! Il était complètement autosuffisant et ce mode de vie m’inspire, encore aujourd’hui, beaucoup de respect.
Car sans vouloir porter de jugement, je remarque une grande mutation du mode de vie des habitants du grand nord américain. Ils ne fabriquent presque plus rien de leurs propres mains, et ils préfèrent acheter des produits sans âmes, des simples reproductions d’un modèle conçu pour plaire à tous. J’ai comme le sentiment que c’est un peu de notre liberté qui s’échappe dans ces grandes surfaces commerciales et ces usines gigantesques. On nous donne l’illusion d’avoir un choix infini alors que chaque comportement de notre part est anticipé et calculé. Au lycée, je me sens comme en plein cœur d’une de ces chaines de production, où le taylorisme à dicter ces règles et impose une méthode éducative pensée dans un modèle déshumanisé, de rentabilité et de productivité. Chaque élève contre-productif est écarté, par peur qu’il nuise à la création d’élites normalisées. C’est ce que je cherche à fuir, je veux être différent, spécial, imprévisible…
Lorsqu’on allait chasser, on partait parfois pendant plusieurs jours. Il nous fallait prévoir des vivres et organiser nos journées pour ne pas se laisser surprendre par la nuit. Mon grand-père m’a appris les règles primordiales en survie : se nourrir, économiser son énergie, faire du feu par tous les temps et me construire un abri de fortune pour y passer une nuit au chaud. C’est pourquoi je me sens prêt à vivre une aventure seul avec mes chiens pendant une longue période. Je sais bien que la liste des imprévus sera longue mais c’est ce qui lui donne son charme.
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Je décide donc de partir sans vraiment prévenir mes camarades du lycée. Après avoir terminé le travail demandé. Je sors du cours de sciences qui clôture une semaine interminable, ou je n’ai pu m’empêcher de regarder à travers chaque fenêtre, à travers chaque échappatoire de ce lieu où je me sens comme essoufflé à longueur de journée. J’ai passé toute la semaine à planifier mon aventure. Je devais réfléchir à ne prendre que le nécessaire.
Dans une vie nomade, chaque charge superflue nous ralentit, elle nous fatigue et nous encombre. Notre société sédentaire vit tellement dans l’abondance, dans la démesure que se contenter du strict minimum lui est devenue inconcevable. Aujourd’hui plus tu possèdes et plus tu existes ; si tu n’as rien alors tu n’existes point… Voilà le monde dans lequel on grandit, voila le monde que je fuis !
Revenir à l’essence même de ce qui nous rend heureux, de ce don nous avons besoin pour vivre. J’avais discuté avec un des plus proches amis de mon grand-père qui est un explorateur expérimenté.
Il m’avait parlé d’une tribu d’Inuits qui l’avait accueilli pendant l’un de ses périples. Ils vivaient grâce aux quelques rennes qu’ils possédaient, et à la cueillette des baies qui habillaient les paysages arides et gelés du grand nord. Il me disait qu’il n’avait jamais rencontré personne avec des sourires aussi chaleureux que ces Inuits à la vie sobre et éphémère. Le sentiment de liberté qui les animait était indescriptible. J’ai l’impression qu’un sourire c’est l’expression d’un moment de liberté intérieure que l’on a besoin d’extérioriser.
Pour l’itinéraire je me suis simplifier la tâche en ne prévoyant qu’un seul cap, le nord.
Je m’adapterais au relief, à la fatigue des chiens et à mon état de forme. Je verrais aussi par rapport aux provisions alimentaires et à la météo. S’il y a bien une chose que mon grand-père m’a apprise, c’est que je ne peux pas contrôler la nature. Je dois apprendre à écouter mon corps, à écouter chaque bruit sous les patins de mon traîneau, à écouter le souffle de mes chiens et surtout le silence des grands froids. Dans le sud c’est un bruit assourdissant qui rythme la vie des gens. À force de l’entendre continuellement, ils finissent par ne plus rien écouter. Tout ce bruit les abrutis, et ils n’apprécient plus la mélodie de la vie.
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J’ai passé le week-end à charger le traîneau puis à préparer les chiens. Ils sont tellement excités avant chaque départ que je me sens obligé de faire vite ! De partir tout de suite ! Je range les quelques affaires qui traînent encore un peu partout dans la maison et je me résigne à accepter le fait d’avoir sûrement oublié quelques objets, rassurer d’avoir pris le principal.
Mon grand-père m’offre ses jumelles et il me dit chaleureusement :
« Je te donne mes yeux. Le jour où tu te sentiras perdu dans l’immensité de ce monde, n’ai pas peur de regarder toujours plus loin. Et lorsque l’obscurité tombera sur toi, éclaire ton cœur de chaque étoile égarée dans l’infinité de la nuit. »
J’ai écouté ses mots avec beaucoup d’attention et une grande émotion. J’ai mis son cadeau au plus près de moi et je l’ai embrassé longuement. Ma mère et ma grand-mère ne pouvaient s’empêcher de verser quelques larmes, émues et fier de me voir si déterminé. Mais j’imagine qu’il y avait aussi de l’inquiétude dans ces yeux brillants. Je n’aime pas vraiment dire au revoir. C’est hypocrite un au revoir, car au fond toutes ces personnes que tu aimes, tu n’as pas envie de les voir s’éloigner !
À peine le pied posé sur le traîneau que les chiens se sont élancés à plein allure au milieu de la piste forestière. Je me suis agrippé aux poignées et j’ai regardé l’espace entre ma famille et moi-même devenir si grand, en si peu de temps. Cette sensation si spéciale où l’espace et le temps se retrouvent à la merci de nos sentiments incontrôlables. Et que tu te retrouves si vite seul, conscient qu’il ne faut surtout pas se retourner mais regarder vers l’avant.
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Les journées sont si froides que la neige brille dans l’air, comme si j’avançais au milieu des étoiles. Le soleil me réchauffe un peu plus longtemps jour après jour et les journées sont de plus en plus longues. Les conditions sont idéales pour s’évader dans les grands espaces, et les chiens sont infatigables. J’aperçois des traces de gibier dans la neige fraîche, cela me pousse à m’arrêter pour chasser pendant qu’il me reste de l’énergie.
Je laisse l’attelage et je m’enfonce dans le bois, guettant un quelconque signe de vie animale. C’est fou comme la nature est bien faite ! Chaque animal a élaboré sa propre stratégie, au fil du temps, pour survivre aux conditions de vie extrêmes. Et la chasse nécessite beaucoup de patience, de silence et de sang-froid pour réussir à capturer sa proie. C’est bien pour cela qu’il y a de moins en moins de chasseurs parmi les jeunes du lycée. Ils n’ont jamais le temps, ils n’aiment pas le silence et ils s’énervent pour un rien.
Après une bonne heure à attendre dans la neige, un lièvre surgi dans mon champ de tir. Je retiens ma respiration, dirige le fusil vers le lièvre et j’appuie sur la gâchette. L’animal est touché, il s’écroule et je me dirige calmement vers lui. Lorsqu’on tue pour survivre, il y a un lien puissant qui se créer avec notre victime. Un respect naturel envers cet animal à qui tu as ôté la vie afin de préserver la tienne.
Je vois le soleil embraser l’horizon et je sens l’air me brûler les poumons. La nuit tombe lentement et je me presse de retourner vers mon traineau. J’allume un feu pour faire fondre un peu de neige et pour faire cuire le lièvre. Ce dîner me rempli de joie et d’énergie pour demain. J’ai hâte de m’endormir, après cette journée remplie d’émotions. Je ressens l’envie de fermer les yeux pour revivre chaque instant de ce premier jour, car je sais que mes rêves ne pourront pas être si différents.
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La nuit fut aussi vivante que la journée qui l’avait précédé. Je me réveille avec une sensation de liberté indescriptible, avec l’impression de n’avoir jamais été aussi près du bonheur. Lorsque je pense à l’aventure que je vis, je sais qu’elle est belle et imprévisible. J’imagine que chaque événement est le résultat de toutes mes décisions antérieures et que le dénouement me dira si je m’étais trompé ou non. Ça peut paraître tout aussi inquiétant, qu’excitant. Et c’est ça le bonheur finalement. C’est un inconnu où nous n’avons pas peur de nous projeter. C’est penser à demain avec enthousiasme et sérénité, car nous avons eu l’audace de prendre en main le présent. L’inquiétude de l’avenir qui concernait la majorité de mes camarades de classe m’empêchait de profiter de mon quotidien. Qui voudrions-nous devenir ? C’est cette question qui nous est sans arrêt posé. Alors que notre rôle d’aujourd’hui c’est de savoir qui nous sommes ?
Je l’avoue, j’aurais voulu être Peter-Pan ! Être un grand enfant qui ne veut pas vieillir.
Et qui ne peut s’empêcher de se dire que c’est dur de grandir !
La jeunesse est sincère et pleine de vie, inconsciente et audacieuse, curieuse et insouciante. Elle laisse place au hasard et elle peut apprendre de ses erreurs. Elle ne voit pas le temps qui passe et elle a des projets plein la tête. Profitons, profitons…
Car devenir un adulte c’est apprendre à avoir des responsabilités, assumer les conséquences de ses actes, avoir une conscience qui nous limite dans nos choix. C’est aussi être soucieux de tout ce qui nous entoure. Comme le capitaine Crochet qui est soucieux du temps qui passe lorsque le son de l’horloge résonne dans le ventre du crocodile. Au fond être un adulte, c’est un peu avoir peur de la vie qui défile !
Mais la jeunesse, comme Peter-pan, est éternelle ! Vous connaissez Martin Luther-King qui un jour a dit : « I have a dream », ou bien Mandela, ou Gandhi.
Leurs rêves d’enfant étaient éternels, ils dépassaient la haine, la peur, ils étaient audacieux et désobéissaient aux règles !
C’est grâce à leurs rêves que le monde est devenu meilleur !
Ce sont nos rêves qui décideront du monde de demain !
Alors désobéissons et n’ayons peur de rien…
Car Gandhi a écrit : « Croire en quelque chose et ne pas le vivre, c’est malhonnête ! »
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Les jours passent et je m’enfonce toujours plus dans les paysages sauvages et vierges du grand nord. L’horizon me paraît toujours plus grand et la solitude commence à me monter à la tête. Déjà tant perdu dans cet espace infini, c’est dans mes pensées que je commence à m’égarer.
Je repense à ma famille à qui je n’ai pas donné de nouvelles depuis presque une semaine ; je repense au peu d’amis qui me comprenaient quand j’exprimais mes besoins d’évasions, et je repense plus particulièrement à cette fille qui m’a aimé de la plus belle des façons. Je l’avais rencontré en rentrant du lycée. Elle allait voir les passants pour leur demander de signer une pétition au sujet de la protection de la faune du grand nord. Comme je voulais comprendre les raisons de son engagement, nous avions discuté un long moment avant de voir la nuit pointer le bout de son nez. J’ai rempli la feuille et quelques jours plus tard je reçus une lettre de sa part. Je ne vais pas vous mentir, cette lettre m’avait rempli de bonheur. Elle m’avait décrit la joie avec laquelle elle avait partagé, ces quelques mots l’autre soir avec moi. Puis elle m’avait raconté l’histoire de sa famille, ce qu’elle avait envie de faire dans les années à venir, enfin elle m’avait proposé de la revoir la semaine d’après au même endroit que celui de notre première rencontre. Je m’étais rendu au rendez-vous, et je l’avais aperçu au milieu du chemin, où elle m’attendait patiemment. Je pense que cet instant où je l’ai revu, restera à jamais dans ma mémoire parmi ceux où la beauté me fit oublier le temps. J’ai ressenti cette vie qui m’anime quotidiennement, car elle était naturellement belle. Il n’y avait rien de superflu chez elle, comme cette étoile filante dans le firmament de mes yeux amoureux.
J’en suis resté rêveur.
Comme un marin regarde la mer et y voit l’éternité.
Comme un artiste regarde sa toile et y voit l’œuvre achevée,
Comme un silence synonyme de liberté…
Nous avons passé six mois ensemble, à nous surprendre et à nous émerveiller. Puis sans m’y attendre, un soir, elle est venue m’annoncer son départ pour le sud. Son père avait trouvé un travail à New-York. Je n’ai pas vraiment su réagir. Et je l’ai laissé partir à l’horizon de mes souvenirs.
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Aujourd’hui les chiens sont exténués, le relief nous ralentit et la température s’est vraiment refroidie. Les provisions se réduisent considérablement et je manque d’énergie pour chasser du gibier. Je décide de trouver un point de vue surplombant les paysages environnants ; me permettant de repérer un cours d’eau afin d’aller pêcher. Un épicéa me semble idéal à escalader, alors je commence à grimper vers sa cime. Une fois en haut je sors mes jumelles et scrute l’horizon ; j’aperçois un plan d’eau à moins d’une heure en traîneau. Je prends le plus de précautions possibles pour descendre et je pars en direction du lac. Il faut que je prenne quelques jours pour recharger les batteries et faire le point sur mon périple. Les émotions que j’ai vécues depuis mon départ sont nombreuses et intenses. Il faut que je pense à ce qu’elles m’ont apporté pour que j’en tire le plus de profit. Le lac n’est plus très loin et je demande aux chiens d’accélérer le rythme. Une fois au bord de l’eau, j’installe mon abri pour la nuit. Je pense que je vais rester ici un certain temps. Les montagnes reflètent sur l’eau, comme si les âmes des plus grands peintres s’étaient concertées pour m’offrir la plus belle des toiles. Je m’installe près du feu et je lève les yeux vers cette nuit étoilée. Plus la nuit s’assombrit et plus le ciel s’embrase, les constellations prennent vie et m’emportent vers l’extase. Je me laisse rêver en admirant cet Olympe de tous les explorateurs. Cet espace où l’homme n’aura jamais le contrôle et qui ne cessera jamais de nourrir son imagination. Cet espace où les plus grands poètes trouvèrent leur inspiration et illustrèrent leurs plus belles passions. C’est alors que la nuit devient si noire, que les étoiles ne font plus qu’un avec l’eau gelée du lac. Qui n’a jamais voulu avoir le ciel à ses pieds ! Je ressens une attraction intense, qui me pousse vers le lac. J’essaye alors d’attraper une étoile et je perds l’équilibre en me penchant trop près de l’eau. Je plonge malencontreusement dans cet univers glacé et je sens tout mon corps se crisper. Je me précipite vers la terre ferme. Et je m’allonge près du feu brûlant. C’est alors que je me souviens d’une phrase que j’avais lu un peu avant mon départ. L’auteur écrivait : « L’insensé veut posséder le ciel ; le sage l’admire, s’agenouille, et ne désire pas »
Moi l’insensé, j’ai voulu rêver d’un voyage insolite et d’une vie sans limite. Mais il est sûrement temps de rentrer près des miens, leur raconter à quel point, dans le grand nord, le temps passe vite. Qu’on se sent libre mais tellement seul, que plus on s’éloigne de notre passé plus les souvenirs nous habitent. Et que les nuits sont tout ce qu’il y a de plus magique.
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Les raisons de mon périple sont aussi inexplicables et incompréhensibles que les événements qui marquent l’actualité et l’histoire des temps modernes. La folie est devenue la norme et la raison s’efface au profit d’un individualisme follement dévastateur. La notion du risque n’a plus aucune valeur. Lorsque je sais que des millions d’individus vivent au milieu de réacteurs nucléaires délabrés, de régions sismiques et de nuages de pollution permanent ; suis-je fou de partir là où l’homme n’a pas encore dicté sa loi ? Suis-je fou de penser différemment et ne pas être trop crédule ? Suis-je fou de faire mes propres choix ? Suis-je fou d’avoir quitté le lycée pour fuir cette grande illusion ?
Certains me diront que oui, je le suis ! D’autres n’oseront pas se prononcer, par peur de se démarquer ! Et peut-être qu’une dernière partie osera s’évader de cet immense asile, de cette planète bleue qui devient grisonnante. Une jeunesse de penseurs, de voyageurs, d’ingénieurs qui n’aura pas peur d’échanger ses connaissances pour redonner à ce monde un peu de couleurs.
Des baisés volés. On dit que la vérité sort de la bouche des enfants…Avoir 11 ans c’est encore être un
L ‘humain déshumanisé. L’histoire coloniale européenne et ses conséquences semblent volontairement omises de nos conceptions actuelles de ce que l’on